Normativité et affectivité

Cet axe se propose d’examiner la normativité du point de vue de la philosophie des émotions. L’étude de la portée normative de notre vie affective a longtemps été négligée par la philosophie et la psychologie. Les dernières années ont toutefois assisté au renversement de cette tendance, les états affectifs occupant désormais une place de choix au sein des explications philosophiques et scientifiques (Dukes et al. 2021).

Responsable : Catherine Rioux (Université Laval)

Groupe: Luc Faucher (UQAM), Chris Howard (McGill), Miriam McCormick (University of Richmond), Andrew Reisner (Uppsala University), Catherine Rioux (Université Laval), Mauro Rossi (UQAM), Jonathan Simon (Université de Montréal), Christine Tappolet (Université de Montréal), Fabrice Teroni (Université de Genève)

Projets de recherche

(1) Émotion, cognition et processus corporels

Selon Christine Tappolet, les émotions comportent des représentations au même titre que les états perceptuels : ressentir une émotion consiste à représenter, de manière non-conceptuelle, un état de chose évaluatif (Tappolet 2016, 2020). Ceci soulève cependant la question de savoir comment concevoir le mode de cognition propre aux émotions. Considérant à la fois le rôle des émotions à l’interface individu-environnement (Gallagher 2005; Gallagher et Zahavi 2012; Hutto, Robertson, et Kirchhoff 2018; Hutto et Myin 2013) et leur aspect représentationnel, nous revisiterons l’approche perceptuelle des émotions (Milona 2016), et jetterons ainsi un éclairage nouveau sur l’opposition entre les déterministes biologiques (Panksepp 1982; Ekman 1999) et les constructivistes (Harré 1986, Barrett 2017, Faucher 2013).

(2) Rationalité cognitive des émotions

Actuellement, la recherche sur les états affectifs distingue la rationalité cognitive des émotions de leur rationalité stratégique (de Sousa 1987, 2011; Thagard 2006). On admet généralement que ces deux aspects peuvent tous deux constituer des « raisons » justifiant nos états affectifs (Howard 2019). Toutefois, il reste à comprendre comment ces deux types de raisons interagissent (Reisner 2015; Howard 2020). Suivant les études récentes sur la nature et la rationalité de l’espoir et de la croyance (McCormick 2015, 2017; Milona et Stockdale 2018; Milona 2019; Rioux 2021, à paraître), nous développerons un modèle pour y parvenir. Mauro Rossi, Christine Tappolet et Fabrice Teroni essaieront aussi de définir les conditions d’adéquation des émotions avec le monde (Kenny 1963/2003, de Sousa 1987, Teroni 2007), et de soutenir qu’elles doivent être pensées sur le modèle du rapport entre croyances et vérité.

(3) Bien-être, bonheur et états affectifs

Au cours des dernières décennies, le mouvement de la « psychologie positive » (Peterson 2006; Seligman 2011) s’est accompagné d’une recrudescence de l’intérêt sur les notions de bien-être et de bonheur. Si certains préconisent l’adoption de théories « subjectives » (liant de façon étroite bien-être et plaisir), d’autres défendent des théories « objectives », mettant l’accent sur la satisfaction de préférences réfléchies ou l’acquisition de certains biens mesurables (Fletcher 2016a, 2016b). Nous souhaitons réconcilier ces deux perspectives en examinant l’hypothèse selon laquelle le bien-être dépend d’états affectifs. Partant des travaux de Fabrice Teroni et Christine Tappolet (Teroni 2012; Tappolet 2016), Christine Tappolet et Mauro Rossi développeront une perspective hybride dans un nouvel ouvrage, Happiness: An Affective Theory. En continuité avec leurs travaux en cours sur les émotions négatives, Chris Howard, Catherine Rioux et Fabrice Teroni se pencheront aussi sur les relations entre la régulation des émotions et la promotion active de notre propre bien-être.

(4) Vie affective et relations interpersonnelles

Certaines émotions, comme la colère, sont dirigées vers autrui en tant qu’agent responsable de ses propres actions. Elles forment la base de plusieurs jugements moraux et d’attribution de responsabilité (Strawson 1962/1993; Wallace 1994; McGeer 2012). Ces émotions peuvent-elles aussi être évaluées moralement? (Nussbaum 2016; Silva 2021a) ? Qu’en est-il par exemple du cas de l’espoir placé dans le succès d’autrui (Martin 2020; Rioux 2021) ? Chris Howard et Catherine Rioux se pencheront sur l’éthique des émotions interpersonnelles sur la base des travaux du projet (2) ci-dessus. Enfin, les rapports entre émotions interpersonnelles et la justice sociale suscitent un intérêt grandissant (Srinivasan 2018; Cherry 2019; Silva 2021b ; Stockdale 2021). Ainsi Luc Faucher et Christine Tappolet exploreront l’hypothèse d’une forme d’injustice proprement affective, qui se manifesterait quand des structures politiques ou sociales rendent les émotions contre-productives.